M. Colloghan

dimanche 31 octobre 2010

Les centres sociaux italiens : Une pratique autonome et radicale

En lien également le mémoire de Master de mon camarade Nathan Boumendil "Les Centres Sociaux Occupés Autogérés (CSOA) en Italie et leur rôle dans la vie politique et militante locale", " Une particularité italienne à la diversité de trajectoires et au renouvellement inégal : l'exemple romain." (sous titre)

Richard Neuville *

Après la défaite des mouvements d’émancipation des années de plomb, les centres sociaux (centri sociali occupati autogestiti : CSOA) forment à partir des années 80 des îlots de résistance et de contre-culture. Ils expérimentent des pratiques politiques non conventionnelles et des modes de vie légitimés par une critique radicale de la société capitaliste. Historiquement, ils s’inscrivent dans la continuité des circoli del proletariato giovanile (CPG) et des mouvements des années 70. Si la forte mobilisation politique et la confrontation directe avec le pouvoir ont caractérisé ces années-là, les décennies suivantes sont plutôt marquées par une absence d’engagement politique, un reflux des luttes et des organisations (syndicats, Lotta continua, Autonomia Operaia, etc.). Dans un contexte de repli sur soi et de vide politique, la création des centres sociaux se veut la seule réponse politique radicale. Les groupes qui portent ces expériences sont composés à la fois par des militant-e-s historiques et des jeunes moins politisé-e-s. Selon les fondateurs du centre social florentin (CPA) , l’idée est qu’après avoir perdu la bataille, il faut repartir de zéro. Dorénavant, il s’agit de lutter pour des revendications qui puissent, sans forcément aspirer à des changements radicaux, influer au niveau local et dans la vie quotidienne. (Sara 2006) Les CSOA ne se résument donc pas à des regroupements de la gauche alternative mais se veulent au « service du peuple ».

Afin d’élaborer et de proposer une alternative réelle au modèle dominant, il est nécessaire de se réapproprier des espaces d’autogestion et d’autonomie. Les CSOA perdent le caractère strictement politique des CPG. Pour les fondateurs du CPA, il est nécessaire de rechercher un équilibre entre le caractère politique et la constitution d’espaces de rencontres socioculturels afin qu’une large partie de la population du quartier puisse s’y reconnaître. Isabelle Sommier constate que « la cohabitation de ces deux populations a été relativement bien vécue et elle est en tout cas fructueuse ». (1998:121)

Les CSOA deviennent des lieux de contre-culture, d’autoproduction de biens culturels et de contre-information qui recherchent une alternative non marchande à la domination en s’autofinançant intégralement. Ils organisent de nombreuses activités culturelles : laboratoires artistiques, séances de cinéma alternatif, répétitions musicales et concerts de groupes non commerciaux, débats réguliers et créent des radios et des journaux indépendants, des bibliothèques et des librairies. Leur fonctionnement est autogestionnaire et autonome. Ils refusent la hiérarchie et les liens directs avec les organisations politiques, même si des militant-e-s de plusieurs tendances se côtoient. Les CSOA adoptent un mode de vie collectif et autonome qui se caractérise par une pratique de prise de décisions en assemblée et le refus de porte-paroles. Les premières années, le dialogue avec les pouvoirs institutionnels est systématiquement refusé, cela évolue par la suite pour une partie du mouvement.

Les centres sociaux naissent principalement à la fin des années 80 grâce à l’occupation de bâtiments, de cinémas ou d’usines désaffectées, voire des églises abandonnées dans les centres villes ou les périphéries industrielles de plusieurs villes d’Italie. Il s’agit de se réapproprier des biens niés ou confisqués par la société. L’occupation est également un acte politique pour dénoncer la spéculation immobilière et commerciale en récupérant illégalement l’espace urbain. Par exemples : à Florence, en 1989, le CPA est né dans les locaux d’une usine abandonnée destinée à la construction d’un centre commercial (qui s’est finalement implanté en 2004, engendrant ainsi l’expulsion et la re-localisation du centre social) ; A Milan, l’occupation de Leoncavallo a duré onze années. Parmi ces activités, il disposait notamment d’un restaurant gratuit pour les immigrés. Son évacuation en août 1989 a donné lieu à des affrontements violents et à une farouche résistance. Il sera réinvesti mais détruit par les bulldozers en janvier 1994, la Ligue du Nord a accédé à la mairie quelques mois plus tôt. (Traïni 2003) En 1999, 198 lieux étaient recensés dans l’ensemble du pays, parmi lesquels 103 étaient légalisés et 95 étaient occupés par cinq mille personnes. (Miguel Martinez López : 2002 - 108)

Les CSOA parviennent généralement à se maintenir grâce à d’importants réseaux de soutien car une partie de la population, notamment les jeunes, se reconnaît dans des pratiques différentes, reposant sur l’autonomie et l’autogestion. La frange culturelle parvient à intégrer, en s’inspirant des expériences, underground et le mouvement punk. Par ailleurs, des collectifs autonomes existent également dans les lycées et les universités.

Depuis la fin des années 90, pour se préserver de la répression exercée par la droite, des CSOA ont accepté la stratégie de dialogue de certaines municipalités de gauche. Ils ont ainsi pu régulariser leur situation et percevoir des subventions pour mener des actions artistiques et culturelles mais cela n’est pas sans conséquences sur leur autonomie. A Milan, des membres actifs ont participé aux élections municipales sur des listes de Rifondazione comunista. Pour les plus radicaux, la criminalisation n’a cessé de s’intensifier et les relations avec les municipalités de gauche sont parfois extrêmement tendues. Ainsi à Turin, en décembre 2009, la municipalité a décidé l’expulsion d’une dizaine de lieux occupés principalement par des anarchistes. Incontestablement, il y a eu un tournant après les événements de Gènes en 2001.

Alors que le « Genoa Social forum » était parvenu à fédérer l’ensemble des mouvements de contestation italiens, la répression lors du contre-sommet a signifié la fin de l’innocence d’une génération entière et la fin des Tute Bianche (tuniques blanches). Tandis que le président du Forum social de Gènes, Vittorio Agnoletto, était élu parlementaire européen sur la liste de Rifondazione en 2004, cette organisation décidait de la fin des Disobbedienti (ex.Tute Bianche), qu’elle avait pourtant contribué à créer. Elle optait pour la non-violence et tournait résolument le dos aux altermondialistes. (Foti 2008) Mais d’autres mouvements indépendants en lien avec les centres sociaux ont réussi d’importantes mobilisations ces dernières années : le 1er mai des précaires et des immigrés, la MayDay Parade, qui a mobilisé plus de 100 000 personnes en 2003 ; la manifestation contre le coût de la vie en novembre 2004 à Rome ; les mobilisations importantes contre George Bush et Joseph Ratzinger respectivement en juin 2007 et en janvier 2008 ou la manifestation contre les violences exercées aux femmes en novembre 2007.

Les centres sociaux, bien que divisés sur l’appréciation des relations à établir avec les institutions et oscillant entre rupture et intégration, continuent à exercer une réelle influence sur les mobilisations en Italie. Pour cela, ils se sont emparés des nouvelles techniques de communication. Nés de la confluence de la gauche radicale et des milieux underground, ils cherchent à créer des espaces de modes de vie alternatifs et des instruments de résistance à la domination capitaliste.

Richard Neuville, membre du collectif Lucien Collonges, auteur du livre "Autogesion, hier, aujourd'hui, demain" paru aux éditions Syllepse.

Pour en savoir plus
Alex Foti, Alters et politiques italiens, Revue Politique, n°54, Belgique, Avril 2008.
Lia, (Militante FDCA), Les centres sociaux entre rupture et intégration, Alternative Libertaire, nov. 2003.
Miguel Martinez López, Okupaciones de viviendas y de centros sociales, Virus, Barcelona, 2002, p.107-110.
Sara, L’expérience des centres sociaux, OLS, Offensive n°9, février 2006. http://offensive.samizdat.net/spip.php?article89
Isabelle Sommier, Un espace politique non homologué : Les centres sociaux occupés et autogérés en Italie, CURAPP, La politique ailleurs, PUF, 1998.
Christophe Traïni, Les Centres Sociaux Occupés et les forces de l’ordre. Un répertoire d’action italien dans la polyphonie altermondialiste.., Colloque « Les mobilisations altermondialistes », 3-5 décembre 2003.

Lien mémoire Nathan Boumendil ""Les Centres Sociaux Occupés Autogérés (CSOA) en Italie et leur rôle dans la vie politique et militante locale", " Une particularité italienne à la diversité de trajectoires et au renouvellement inégal : l'exemple romain." (sous titre)

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